Au fil des projets, des rencontres, des colloques, sur les chantiers ou en soirée, je me suis entouré d'architectes. C'est un peu fait exprès, j'essaie de sensibiliser les prescripteurs au réemploi de vieux bois, à la basse technologie, à la préservation de la biodiversité forestière et des relations humaines et non marchandes.
Mais même s'ils parlent de frugalité, de résilience, d'intensité sociale, ne sont-ils pas, par leur fonction même, supervisée par un Ordre (et ne suis-je pas moi-même, par ma formation initiale d'ingénieur), enfermés au sommet de ce système hiérarchisé de normes et de règlementations? N'en sont-ils pas même les garants?
Comment s'extraire de ce monde virtuel, construit par les ingénieurs des bureaux d'études et de certification, dont la base est le modèle mathématique de la caractérisation des matériaux? Est-ce qu'on se rend bien compte qu'un modèle de matériau n'est pas la réalité mais une interprétation tronquée de ce qui nous intéresse dans la petite partie qu'on perçoit?
Comment renouer avec notre sensibilité, beaucoup plus étendue et fine, parce que consciente, qu'un faisceau de capteurs? Notre relation directe aux matériaux peut nous aider, mais alors, pourquoi mesurer? Il suffit de ressentir.
Je connais bien la réponse à toutes ces questions, je voulais simplement te rappeler de ne pas oublier ta sensibilité, et même de l'entretenir et de la développer, et surtout de ne pas la laisser se faire submerger par tous tes calculs.
Et je voulais aussi me le rappeler à moi-même, alors que je mets le pied dans un projet de caractérisation de matériaux et vais me retrouver avec les ingénieurs du CSTB dans pas longtemps. Très curieux... |